Sionisme et Nationalisme palestinien : genèse et avenir de ces mouvements

Publié le par actu-moyenorient.over-blog.com

  

Si Denis Charbit appréhende le sionisme  en tant que sécularisation de la promesse divine (« l’initiative humaine ayant remplacée la Providence), cela ne signifie pas pour autant qu’il faille ôter toute empreinte de religiosité à l’idéologie sioniste. En effet, bien que l’Etat d’Israël ait été d’abord élaboré comme un projet laïc, assimilable à une manifestation mimétique de l’Etat-nation émergeant en Europe, il n’en reste pas moins que la structuration de l’Etat depuis sa création subit une influence constante du religieux. Ce mouvement, qualifié de « néo-sionisme » par Alain Dieckhoff (politologue, spécialiste d’Israël, directeur de recherches au CNRS) tente d’infléchir (surtout depuis les dernières élections israéliennes) la politique de l’Etat en lui conférant une dimension aussi religieuse que possible.

Pour autant, afin de mieux comprendre les différentes branches et approches du sionisme, il est nécessaire de rappeler les différentes étapes de création de cette idéologie et les mutations qu’elle a opérée au cours de l’Histoire.

D’autre part, il est nécessaire de comparer  les conditions d’émergence et de concrétisation du sionisme avec la question du nationalisme palestinien pour comprendre que ces deux idéologies se rejoignent autant qu’elles s’opposent. Si on a souvent examiné le nationalisme palestinien en tant que sous-catégorie du nationalisme arabe de l’époque nassérienne, peut-on réellement le limiter à cela  ou existe-t-il de manière autonome et indépendante ? On peut également se demander si le nationalisme palestinien s’est construit en réaction directe au sionisme comme le dément Camille Mansour (juriste, intellectuel palestinien).

Toutes ces hypothèses aboutissent au postulat de la mutation de ces idéologies initiales vers une certaine radicalisation favorable au facteur religieux. On peut ainsi s’interroger sur les moyens par lesquels des idéologies, au départ plus ou moins laïques, ont participé à leur propre déclin pour favoriser l’éclosion et l’enracinement de mouvements religieux en leur sein.

Seule une approche historique peut permettre de rendre compte des deux phénomènes dans leur intégralité, c’est pourquoi il s’agit de s’intéresser tout d’abord aux conditions d’émergence des idéologies nationales sioniste et palestinienne puis d’en comprendre les failles pour identifier les formes nouvelles qu’elles revêtent aujourd’hui.

 

Sociohistoire comparée de l’idéologie sioniste et du nationalisme palestinien

-          Genèse des idéologies

Le projet sioniste pose les bases de la création de l’Etat d’Israël en tant que territoire pouvant « assurer l’émancipation collective des Juifs ». Il a ainsi toujours fait l’objet de polémiques intrinsèquement liées à la conception de l’Etat elle-même. Denis Charbit (politologue français, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Tel-Aviv) rappelle à cet égard deux approches « pour rendre compte de la naissance du sionisme ». Il distingue celle qui s’intéresse au développement interne de l’histoire juive de celle qui rattache son irruption aux évolutions de l’histoire européenne. En d’autres termes, il sépare de manière hermétique la mouvance sioniste religieuse de la mouvance laïque en rappelant que ce n’est que tardivement que le sionisme obtint sa bénédiction religieuse avec le rabbin Kook. En effet, au départ les religieux s’opposaient vivement à la création de l’Etat puisqu’elle n’était pas le produit d’une volonté divine. D’après ces hypothèses, on peut retrouver des traces du caractère hybride du sionisme dès son émergence. L’ambivalence de son projet laïc destiné à une communauté religieuse en particulier a conduit à une mutation appelée « néo-sionisme » par Alain Dieckhoff. Cette mouvance apparait en 1974 avec la création du Goush Emounim (« Bloc de la foi » : parti politique religieux israélien) et confirme sa popularité  de manière définitive avec le succès électoral du Likoud de Menahem Begin en 1977.

En ce qui concerne le mouvement palestinien, on peut considérer, d’après Camille Mansour qu’il a commencé à émerger en tant que nationalisme « simultanément contre les Britanniques et contre le projet sioniste ». Toutefois, la construction du nationalisme palestinien a été influencée par le nationalisme arabe qui rayonnait depuis l’Empire Ottoman.

Le nationalisme territorial développé par les palestiniens résulte d’avantage de la « gestion de la Palestine » exercée par les britanniques sur un système d’administration directe, sans gouvernement palestinien, que d’une réaction au projet sioniste.  Camille Mansour parle ainsi de « patriotisme palestinien dans le cadre d’un nationalisme arabe ».

Ce « patriotisme » a été repris par le Fatah’ de Yasser Arafat qui l’a exploité pour faire émerger une un projet national palestinien s’opposant dès lors au sionisme : comme l’explique Barry Rubin (directeur du Global Research in International Affairs Center, Herzliya), Yasser Arafat a réussi à faire gagner au mouvement palestinien un large soutien international mais son bilan reste négatif puisqu’en onze ans, il n’est parvenu à aucun accord satisfaisant avec Israël et n’a pris aucune mesure décisive pour améliorer le niveau de vie de sa population.

C’est ainsi que les déceptions issues de la gouvernance d’Arafat ont conduit à l’élection du Hamas en janvier 2006 : « en chantant les louanges de l’extrémisme, le Fatah’ a semé les graines et le Hamas a récolté les fruits ».

 

-          Des mouvements qui s’excluent mutuellement?

Si on émet l’hypothèse que ces mouvements se soient construits de manière isolée l’un par rapport à l’autre, il n’en reste pas moins qu’ils sont intrinsèquement liés par le simple fait que la concrétisation de leurs idéologies reposent sur le même territoire. En effet, si le projet sioniste consiste avant tout en l’édification d’un Etat juif, c’est bien la Palestine qui est visée et non un territoire lambda comme l’Ouganda fut proposé par l’ONU. L’enjeu territorial est donc le principal dénominateur commun aux deux mouvements. D’ailleurs, bien que les palestiniens aient fédéré une forme de patriotisme, il s’avère que ce n’est qu’après la création de l’Etat hébreux que soit apparue une réelle ferveur nationale et que le mouvement nationaliste palestinien ait pris une réelle dimension. Ainsi, si le nationalisme palestinien est directement inspiré du nationalisme arabe, le nationalisme arabe lui-même a assis une partie de son succès sur son projet de destruction d’Israël. Les défaites arabes aux guerres de 1948, 1967 puis 1973 ont contribué à diaboliser Israël tout en unifiant l’idéologie nationale (instrumentalisée par les groupes extrémistes comme le Hamas qui prône une véritable radicalisation) alors même que les victoires israéliennes ont été perçues comme des miracles, réactivant la ferveur religieuse.

Les guerres successives reposant sur des problématiques territoriales ont contribué à l’instrumentalisation du religieux à des fins politiques. Tous les acteurs concernés ont favorisé le déclin de leurs idéologies initiales en ignorant les revendications des populations et ont laissé le religieux prendre le pas sur le terrain politique (4 novembre 1995 : assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin par Ygal Amir, juif orthodoxe ultra-nationaliste).

Par conséquent, on peut considérer que le sionisme et le nationalisme palestinien ont eu une influence l’un sur l’autre en raison de leur histoire commune qui a participé à l’élaboration de trajectoires nationales croisées.

 

Echec des idéologies initiales : vers une actualisation des concepts ?

 

-          Causes de la chute des nationalistes (Barry RUBIN)

La chute des nationalistes palestiniens présentée par Barry Rubin est le produit des erreurs commises par le Fatah de Yasser Arafat puis de Mahmoud Abbas. En effet, Barry Rubin interprète les stratégies d’actions  de ces acteurs et constate que les divisions internes à chaque mouvement ont causé l’irruption de luttes intestines, notamment les dissensions liées à l’ancienneté des membres du parti. Il explique ce qui a conduit les palestiniens à se tourner vers des partis radicaux comme le Hamas: il donne l’exemple des palestiniens de Jordanie et du Liban qui se sont tournés vers les partis islamistes, convaincus que le Fatah ne les ramènerait pas en Palestine. D’autre part, la stratégie du Fatah qui a multiplié ses candidats aux élections législatives de 2006 a grandement contribué à la victoire du Hamas.

En ce qui concerne le sionisme, les hypothèses sont à nuancer : en effet, si on a vu que son acception  classique avait évolué vers une forme néo-sioniste, il est également important d’aborder une autre branche du sionisme, présentée par Alain Dieckhoff qui est le « post-sionisme » : ce dernier renvoie à une nouvelle génération d’historiens qui souhaitent associer le post-sionisme au post-modernisme. Leur démarche s’inscrit dans une volonté de défense et de refondation du sionisme en dénonçant notamment la symbiose « militaire/civile » qui consiste en l’examen de toutes les questions économique, diplomatiques… à travers le prisme sécuritaire. Cette tradition très présente en Israël semble difficile à bouleverser, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le post-sionisme et sa nouvelle historiographie n’ont connu qu’un succès limité auprès des élites intellectuelles israéliennes.

Ainsi, on constate que le nationalisme palestinien a perdu sa capacité de mobilisation et que le sionisme tel qu’il avait été institué par les pères fondateurs de l’Etat n’a plus grand-chose à voir avec son essence actuelle. On peut alors se demander si l’avenir de ces idéologies est réellement compromis ou s’il y a des chances pour qu’elles resurgissent sous d’autres formes.

-          Avenirs des conceptions classiques ?

Selon Denis Charbit, l’avenir de l’Etat d’Israël dépend des controverses d’hier qui n’ont toujours pas été résolues. Il en distingue trois : l’opposition entre les partisans d’un territoire suprême et ceux qui souhaitent rendre les territoires de 1967 ; les partisans d’une législation religieuse qui doit commander la nature de l’Etat et ceux qui prônent une séparation Synagogue/Etat et enfin, le dernier débat porte sur l’aspect démocratique de l’Etat et particulièrement sur les inégalités structurelles en fonction des inégalités communautaires (minorités arabes en Israël victimes d’inégalités) qui ne peuvent être tolérées par l’Etat de droit.

Les problèmes à régler sont de natures diverses mais comme l’explique Alain Dieckhoff, l’enjeu sécuritaire continue d’être la pierre angulaire de la politique de l’Etat israélien et confère au sionisme une situation « d’hégémonie culturelle ».  Ce phénomène peut être illustré par les résultats des dernières élections israéliennes qui ont favorisé les partis de droite nationaliste et religieux.

Le mouvement palestinien, quant à lui, est aujourd’hui  d’avantage représenté par le Hamas que par le Fatah : pour autant, comme le rappelle Camille Mansour, il est nécessaire de distinguer Gaza et la Cisjordanie : il rappelle que Gaza « est plus proche des palestiniens de l’extérieur » car la majorité des habitants sont des réfugiés, ce qui n’est pas le cas des habitants de Cisjordanie qui ne sont pas mus par l’idée de « retour ». Ce qu’il faut retenir est donc qu’il existe de profondes dissensions entre les palestiniens : il ne s’agit pas d’une population homogène ; c’est d’ailleurs peut-être un facteur explicatif des dissensions politiques. Quoi qu’il en soit, l’influence accrue du Hamas dans la région et la menace de l’Iran nucléaire ont contribué à isoler un peu plus le gouvernement de Gaza et à limiter les chances de voir un accord durable s’imposer entre les différentes factions. Il semble également que le Fatah de Mahmoud Abbas soit dans l’incapacité de restaurer la gloire passée du mouvement national palestinien.

 

MB

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Z
>.<br /> <br /> Rien n'est plus faux; et pour s'en convaincre (s'en perdre de temps cad sans sans brasser d'air) une citation du pere fondateur du sionisme théodore Herzl:<br /> "J'ai eu une idée formidable : attirer des antisémites honnêtes et les inciter à detruire les propriétés juives..."<br /> <br /> Et oui, je vous l'accorde, c'est difficile à croire surtout lorsqu'on reste à la surface des choses ce qui ne permet pas de comprendre les réelles déterminations historiques.<br /> <br /> D'autant plus que la promesse divine faites aux peuple d'Israel par l'intermediaire du prophète Isaie est à resituée dans son contexte. En effet, il est question du retour des juifs en Terre Sainte<br /> car ils ont été déportés à Babylone. Donc il est ici question d'un retour de Babylone à Israel et non d'Europe en Palestine.<br /> Et cette promesse divine avait une condition: le peuple d'Israel doit reconnaitre Jésus fils de Marie comme le Messie. On connait la suite...
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